mercredi 3 avril 2013

Une goutte de lumière sanguine...


Pix : Dino Campana, Sibilla Aleramo et leur chien...


"Tout m'est indifférent.
Aujourd'hui ressort tout le gris monotone et sale de la ville. Tout fond comme la neige dans ce bourbier : et je sens qu'est douce cette dissolution de tout ce qui nous a fait souffrir. D'autant plus douce que bientôt la neige s'étendra inéluctablement en un linceul blanc et alors nous pourrons reposer dans des rêves plus blancs encore.
Il y a un miroir devant moi et l'horloge bat : la lumière m'arrive des portiques à travers les rideaux de la vitre. Je prends la plume : j'écris : quoi, je ne sais pas : j'ai du sang sur les doigts : j'écris : "dans la pénombre l'amante s'agrippe au visage de l'amant pour écorcher son rêve..."
(Nuit) Devant le feu le miroir. Dans la fantasmagorie profonde du miroir les corps nus s'avancent muets : et les corps las et vaincus dans les flammes inéteintes et muettes, et comme hors du temps les corps blancs stupéfaits inertes dans la fournaise opaque : blanche, de mon esprit épuisé silencieuse elle s'estompe, Eve s'estompe et m'éveille.
Je marche sous le cauchemar des portiques. Une goutte de lumière sanguine, puis l'ombre, puis une goutte de lumière sanguine, la douceur des morts. Je disparais dans un tournant mais dans l'ombre sous un réverbère blanchit une ombre aux lèvres peintes."

Dino Campana, La Journée d'un Neurasthénique, Harpo &, 2012.



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