Du camp,
notion toute anglo-saxonne difficilement traduisible en français et
toute aussi difficilement prononçable (faites un effort, dites « kemp »
par pitié et non « campe », ça fait universitaire de province), le vieux
dictionnaire Webster rescapé de vos années lycées vous dirait qu’à son
apparition en 1909, il dénotait un comportement « ostentatoire, exagéré, affecté, théâtral et efféminé ».
Pédé, pensez-vous sans doute avec moins de circonspection. Soit, il y a
bien de cela mais pas seulement. Dans les années 70, après la
publication des Notes on camp de Susan Sontag qui donnèrent à
cette sensibilité esthétique ses lettres de noblesse, son sens s’altéra,
nous renseigne encore le Webster, mais cette fois de manière plus
confuse, puisque selon lui, le mot en vint à signifier tout à la fois la
banalité et l’artifice, la médiocrité et « l’ostentation poussée à l’extrême au point d’exercer une attirance perversement sophistiquée ». Débrouillez-vous avec ça.
Pour
percer le mystère (et tout l’intérêt) d’un comportement et d’un regard
sur le monde qui-fait-désormais-cruellement-défaut-à-notre-époque comme
on dit dans Des Racines et des Ailes (Faut-il le préciser, Jean-Marc
Ayrault et Nadine Morano ne sont pas précisément camp ; Valérie
T. en est peut-être un cas limite), il faut se reporter au premier
livre de Patrick Mauriès, esthète, collectionneur de bizarreries et
d’œuvres d’artistes ignorés des digest de l’histoire de l’art,
autant qu’éditeur de précieux opuscules dans les élégantes collections
du Promeneur et du Cabinet des lettrés. Dans le Second manifeste camp,
paru en 1979, ce disciple de Roland Barthes (R.B., suprême délicatesse,
avait transmis à son éditeur le manuscrit de ce livre sans rien en dire
au jeune écrivain) tente de définir l’indéfinissable, explore à travers
références et citations les multiples facettes d’une notion qui
toujours se défile. Où l’on apprend incidemment qu’est camp, « tout
esthétisme qui se connaît, c’est-à-dire qui n’est plus bridé par quelque
considération de goût que ce soit et qui puisse toucher aux abîmes de
ses propres thèses », les projets d’œuvres amorcés et jamais
aboutis, les romans de James Purdy ou de Jean Genet, le Rex, Angelina et
les endroits désuets en général, Andy Warhol bien sûr mais aussi Hamlet
et le Surfer d’argent, Proust et les personnages de Nous Deux, le maniérisme et Winnie the Pooh, l'improbable Lytton Strachey, pilier du groupe de Bloomsbury, et son indispensable biographie par Michael Hollroyd, ou encore l’idée (qui personnellement m’est chère) que les seules véritables blanchisseuses se trouvent en Normandie. Le camp résiste à l’abstrait et cède au mimétique, s’adonne à la périphrase et aux "conduites d’irréalité érotiques", consomme par procuration et est toujours un peu à côté de lui-même. In fine, il est cascade rhapsodique de livres, vertige de rhétorique et d’érudition, sentimentalité de l’intellect.
Ce
classique incontournable de toute bibliothèque un peu exigeante était
épuisé depuis belle lurette. L’éditeur singulier a eu l’idée singulière,
et bienvenue, de le rééditer, qui plus est sous une forme soignée : il
sera disponible sur les tables de vos libraires préférées (i.e. sur
Amazon) le 8 novembre prochain. Pour les plus enragés, il sera possible
de se prosterner aux pieds de l’auteur le vendredi 19 octobre entre 18 h
et 20 h lors d’une rencontre-signature organisée à la galerie 12Mail,
12 rue du Mail dans le 2e arrondissement.
Le Sot-l'y-laisse
Je ne puis que remercier M. Le Sot-l'y-laisse.
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