mardi 9 octobre 2012

I dig girls, Nick Tosches

I did girls


Pix : Nick Tosches par Gardabelle

"Jabbo se revoyait tel qu’il avait été, plus de quarante ans auparavant, encore enfant, à l’affût, le pouce et l’index écartés, retenant son souffle, les yeux écarquillés par l’émerveillement et l’attente, tandis qu’il regardait un papillon danser et virevolter dans l’air autour d’un pissenlit qui avait poussé entre la chaussée et le bord du trottoir ; il regardait, regardait, attendant que les petites ailes blanches s’immobilisent. Il revoyait le blanc poudreux sur le bout de ses doigts, comme le reliquat de traces magiques, lorsque les ailes, après son enchantement, avaient été livrées à leur propre voltige. Et il se voyait tel qu’il était à présent, un homme qui traversait une rue la tête pleine de rage et un revolver coincé sous la ceinture, assommé par la noirceur luisante de la nuit obscure.

Un jour il en avait vu un, un de ces grands papillons aux ailes noires, et aussi des Monarques aux ailes couleur crème. Qu’il est mignon, avaient dit les vieilles dames. Il était parti en courant quand elles s’étaient penchées pour lui ébouriffer les cheveux et lui pincer les joues.

Et aussi ces jambes. Ces foutues jambes. Il n’était pas capable de se décider, même dans le temps, même à l’époque. Toute cette chair, aguichante, exaspérante. Va te laver le visage, avait-il dit à, comment déjà, cette salope friquée, ce jour-là. Comme tous deux se réveillaient dans la douce lumière du matin, il avait vu sa propre trace blanche coagulée et séchée sur son visage. Ce n’est que toi, mon cœur, ce n’est que toi, avait-elle dit. Combien ça l’avait perturbé, dégoûté et réjoui. Ce n’est que toi, mon cœur, ce n’est que toi. Et Sally, la première fois qu’ils avaient fait l’amour, avec ses mots qui suivaient le reflux de sa chaleur, le souffle de plus en plus profond, de plus en plus rapide du rythme concentré de son corps. Je veux que tu jouisses dans ma bouche, avait-elle dit, libérée, ne serait-ce qu’un instant, dans ce reflux et ce rythme, et il avait su qu’elle était sienne, et qu’ensemble ils pouvaient détrousser le monde de tout le bonheur qu’il cachait. Mais il avait tout gâché. Il gâchait toujours tout. Car la dévotion agissait en Jabbo avec perversité. Sans elle, il était comme un enfant abandonné, terrorisé et vulnérable, et il en avait un besoin maladif ; mais une fois qu’il l’avait, c’était comme s’il était contraint de la détruire, de se détourner de la sauveuse qui l’accueillait ou de la rejeter, comme si en fait ce n’était pas de la dévotion qu’il éprouvait le besoin, mais de sa négation. Pour lui, la dévotion était une expression de l’amour qui pouvait seulement se chérir en son absence, dans le désir que l’on en ressentait. Entre ses mains, elle devenait le sceptre de sa tyrannie, un thyrse à brandir, pour malmener, pour chasser, et finalement pour asséner sur le dos brisé de l’amour. C’était cette échine brisée, massacrée, et non la chose vivante, qu’il savourait, sacrificiant et dieu de son propre culte, tour à tour recherchant et renonçant, adorant et tuant, encore et encore, la réponse à toutes les prières. À présent était advenu l’abandon final, inévitable, imprévu. Parmi les décombres sinistres de tout ce qui avait été brisé ne demeuraient ni prière ni réponse.

La bouche de Sam. La bouche de Dorothy. La bouche de Junie. La bouche de comment déjà. La bouche du monde, ouverte à lui. Le soupir de cette bouche dans le vent à présent, son souvenir."

Nick Tosches, I did girls (les filles, y'a que ça de vrai), éditions Derrière la Salle de Bains.

16 commentaires:

  1. J'ai fait le tour du site de l'éditeur et impossible de trouver ce "I Did Girls" : tu commences sérieusement à faire chier avec tes livres introuvables, grrrrh !

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  2. en plus la couverture est pas mal
    http://www.amazon.com/Chaldea-Dig-Girls-Nick-Tosches/dp/0966632850/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1349819776&sr=8-2&keywords=i+dig+girls+nick

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    1. Pour info, on trouve aussi une édition française chez Mona Lisait !

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  3. Bon à savoir!
    J'ai mon billet pour la tate modern ;-)

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  4. Trouvé en édition bilingue chez Mona Lisait, 9 rue Saint Martin 75004 Paris, juste à côté de Beaubourg... Pour à peine 6 euros.!..

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  5. il y a une belle expo de photo à la barbican aussi
    http://www.barbican.org.uk/artgallery/event-detail.asp?ID=13613

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    1. C'est noté ! Une idée de librairie qui pourrait m'intéresser là-bas ?

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    2. Je connais bien une élégante librairie sur Marylebone, Daunts bookshop, mais je ne suis pas sur que tu y trouves ton bonheur vu tes goûts. Perso, je me fournis directement au Japon ;-)

      Je te conseille le quartier de Shoreditch.

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    3. Don't forget la librairie de la Photographers' Gallery
      http://thephotographersgallery.org.uk/about-the-bookshop

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    4. Ah oui! Moriyama y fait une signature cette semaine j'avais oublié et il y a aussi la gallerie michael hoppen à voir.

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    5. Merci, merci, il me reste une semaine et demi pour faire le plein de bonnes adresses, n'hésitez pas !

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    6. Questions restaus faire confiance à François Simon le food critic dandy r&r

      http://francoissimon.typepad.fr/simonsays/londres/

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    7. au Barbican :

      http://the189.com/photography/adam-currie-photographs-the-barbican

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    8. 2 bookshops dedicated to photobooks à voir, en complément de l'excellente Photographer's Gallery :

      - Donlon Books : http://www.donlonbooks.co.uk/
      - Claire de Rouen : http://clairederouenbooks.com/
      - et Walther König (Leicester Square ou Serpentine)

      Et pour la BD/Comics :
      Gosh Comics : http://www.goshlondon.com/
      Orbital : http://www.orbitalcomics.com/
      et bien sûr Forbidden Planet : http://forbiddenplanet.com/

      Enjoy !
      Cheers,
      O.

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