« Car un laque décoré à la
poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’œil dans un
endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur
diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que,
la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l’ombre, il
suscite des résonances inexprimables.
De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l’agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d’air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l’homme à la rêverie. N’étaient les objets de laque dans l’espace ombreux, ce monde de rêve à l’incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d’eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l’un ici, l’autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d’or. »
De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l’agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d’air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l’homme à la rêverie. N’étaient les objets de laque dans l’espace ombreux, ce monde de rêve à l’incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d’eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l’un ici, l’autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d’or. »
Junichirô Tanizaki, Eloge de l’ombre, éd. Verdier, 2011.
Si tu collectionnes les boîtes à
thé recouvertes de papier de riz, que tu es accro à l’odeur de sueur s’exhalant
des tatamis, que tu bichonnes des érables nain sur la pelouse de ton pavillon
de banlieue, que tu reprends deux fois du nougat après ton menu B9 ou bien si
la vue d’une céramique craquelée et laiteuse t’arrache des gémissements
incontrôlés (et je sais qu’ils sont nombreux parmi vous), ce petit traité cardinal
sur l'esthétique japonaise suscitera chez toi
des orgasmes à répétition. A l’esthétique occidentale tapageuse de la lumière
et de l’éclairage, l’auteur oppose celle de la pénombre, consubstantielle à la
maison traditionnelle japonaise, et à l’obsession de la propreté le goût pour
la patine des objets. Où l’on prend brutalement conscience que le comble du
raffinement est sans discussion possible de se rendre au milieu de l’hiver en
pleine nuit au fond du jardin pour y faire caca dans une cabine de bois et
bambou glaciale et mal éclairée. « Le raffinement est chose froide »,
rappelle Tanizaki fort à propos.
"l’esthétique occidentale tapageuse de la lumière et de l’éclairage"... bah oui, l'éternelle vulgarité de chez nous contre l'éternelle délicatesse nippone... Allez au Japon et prenez-vous dans la gueule la lumière absolument partout, une journée de néons blancs, et des migraines ophtalmiques, vous relirez ce truc différemment et même Paris vous paraîtra bien plus mystérieuse et voilée.
RépondreSupprimerJe n'ai jamais dit que la vision de Tanizaki reflétait le Japon actuel... Tanizaki a écrit ce petit texte dans les années 30. Comme Mishima, il est le témoin d'une modernisation du Japon synonyme d'occidentalisation. Pas étonnant qu'il cherche à sauver quelque chose de ce Japon traditionnel qu'il voit s'effacer, quitte à l'idéaliser. Naturellement, entre cette tradition plus ou moins nostalgique et mythifiée et la réalité des villes japonaises contemporaines, il y a comme une forme de schizophrénie...
Supprimer