dimanche 6 octobre 2013

"Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi"



« Dans l’air clarifié,
quand déjà le croissant de la lune
glisse ses rayons verts,
envieusement, parmi la pourpre du couchant :
- ennemi du jour,
glissant à chaque pas, furtivement,
devant les bosquets de roses,
jusqu’à ce qu’ils s’effondrent
pâles dans la nuit : -
ainsi je suis tombé moi-même jadis
de ma folie de vérité,
de mes désirs du jour,
fatigué du jour, malade de la lumière,
- je suis tombé plus bas, vers le couchant et l’ombre :
par une vérité
brulé et assoiffé. »

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Le Livre de Poche, 1972.

Pix : Fernand Khnopff.

2 commentaires:

  1. "Dans l'air clarifié,
    quand déjà la consolation de la rosée
    descend sur la terre,
    invisible, sans qu'on l'entende,
    car la rosée consolatrice porte
    des chaussures fines, comme tous les doux consolateurs --
    songes-tu alors, songes-tu, cœur chaud,
    combien tu avais soif jadis
    soif de larmes divines, de gouttes de rosée,
    altéré et fatigué, combien tu avais soif,
    puisque, dans l'herbe, sur des sentes jaunies,
    les rayons du soleil couchant, méchamment,
    au travers des arbres noirs, couraient autour de toi,
    des rayons ardents et malicieux."

    FRIEDRICH NIETZSCHE, 1888!

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  2. Pour info, voici le passage en entier ci-dessous... Bon à lire aussi, un simple wikipédia t'apprendra que le texte fut publié entre 1883 et 1885...Pour ma part (mais ai-je vraiment besoin de rajouter ce détail) je ne faisais que mentionner l'édition dans laquelle j'avais lu le texte...

    "Dans l'air clarifié,
    quand déjà la consolation de la rosée
    descend sur la terre,
    invisible, sans qu'on l'entende,
    car la rosée consolatrice porte
    des chaussures fines, comme tous les doux consolateurs --
    songes-tu alors, songes-tu, cœur chaud,
    combien tu avais soif jadis
    soif de larmes divines, de gouttes de rosée,
    altéré et fatigué, combien tu avais soif,
    puisque, dans l'herbe, sur des sentes jaunies,
    les rayons du soleil couchant, méchamment,
    au travers des arbres noirs, couraient autour de toi,
    des rayons ardents et malicieux.

    " Le prétendant de la vérité ? Toi ? -- ainsi se moquaient-ils --
    Non ! Poète seulement !
    une bête rusée, sauvage, rampante,
    qui doit mentir,
    qui doit mentir sciemment, volontairement,
    envieuse de butin,
    masquée de couleurs,
    masque pour elle-même,
    butin pour elle-même,
    cela -- le prétendant de la vérité ?...

    Non ! Fou seulement ! Poète seulement !
    parlant en images coloriées,
    criant sous un masque multicolore de fou,
    errant sur des mensongers ponts de paroles,
    sur des arcs-en-ciel mensongers,
    parmi de faux ciels
    errant, planant çà et là, --
    fou seulement ! poète seulement !

    Cela -- le prétendant de la vérité ?...
    ni silencieux, ni rigide, lisse et froid,
    changé en image,
    en statue divine,
    ni placé devant les temples,
    gardien de seuil d'un Dieu :
    non ! ennemi de tous ces monuments de la vertu,
    plus familier de tous les déserts que de l'entrée des temples,
    plein de chatteries téméraires,
    sautant par toutes les fenêtres,
    vlan ! dans tous les hasards,
    reniflant d'envie et de désirs !
    Ah ! toi qui cours dans les forêts vierges,
    parmi les fauves bigarrés,
    bien portant, colorié et beau comme le péché,
    avec les lèvres lascives,
    divinement moqueur, divinement infernal, divinement sanguinaire,
    que tu cours, sauvage, rampeur, menteur...

    Ou bien, semblable à l'aigle qui regarde longtemps,
    longtemps, le regard fixé dans les abîmes,
    dans ses abîmes...
    -- oh ! comme il plane en cercle,
    descendant toujours plus bas,
    au fond de l'abîme toujours plus profond ! --

    Puis,
    soudain,
    d'un trait droit,
    les ailes ramenées,
    fondant sur des agneaux,
    d'un vol subit, affamé,
    pris d'appétit pour ces agneaux,
    détestant toutes les âmes d'agneaux,
    haineux de tout ce qui a le regard
    vertueux, l'oeil de la brebis, la laine frisée,
    de tout ce qui est stupide et bienveillant comme l'agneau.

    Tels sont,
    semblables à l'aigle et la panthère,
    les désirs du poète,
    tels sont tes désirs, entre mille masques,
    toi qui es fou, toi qui es poète ?...
    Toi qui vis l'homme,
    tel Dieu, comme un agneau --,
    Déchirer Dieu dans l'homme,
    comme l'agneau dans l'homme,
    rire en le déchirant --
    Ceci, ceci est ta félicité,
    La félicité d'un aigle et d'une panthère,
    la félicité d'un poète et d'un fou ! "...

    Dans l'air clarifié,
    quand déjà le croissant de la lune
    glisse ses rayons verts,
    envieusement, parmi la pourpre du couchant :
    -- ennemi du jour,
    glissant à chaque pas, furtivement,
    devant les bosquets de roses,
    jusqu'à ce qu'ils s'effondrent
    pâles dans la nuit :
    ainsi suis-je tombé moi-même jadis
    de ma folie de vérité,
    de mes désirs du jour,
    fatigué du jour, malade de lumière,
    -- je suis tombé plus bas, vers le couchant et l'ombre :
    par une vérité
    brûlé et assoiffé
    -- t'en souviens-tu, t'en souviens-tu, coeur chaud,
    comme alors tu avais soif ? --
    Que je sois banni
    de toute vérité !
    Fou seulement ! Poète seulement !"

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