jeudi 6 juin 2013

Samuel Beckett : Premier Amour


Personnellement je n'ai rien contre les cimetières, je m'y promène assez volontiers, plus volontiers qu'ailleurs, je crois, quand je suis obligé de sortir.  L'odeur des cadavres, que je perçois nettement sous celle de l'herbe et de l'humus, ne m'est pas désagréable. Un peu trop sucrée peut-être, un peu entêtante, mais combien préférable à celle des vivants, des aisselles, des pieds, des culs, des prépuces cireux et des ovules désappointés. Et quand les restes de mon père y collaborent, aussi modestement que ce soit, il s'en faut de peu que je n'aie la larme à l'oeil. Ils ont beau se laver les vivants, beau se parfumer, ils puent. Oui, comme lieu de promenade, quand on est obligés de sortir, laissez-moi les cimetières et allez vous promener, vous, dans les jardins publics, ou à la campagne. Mon sandwich, ma banane, je les mange avec plus d'appétit assis sur une tombe, et si l'envie de pisser me prend, et elle me prend souvent, j'ai le choix. (pages 8 et 9)

Samuel Beckett : Premier Amour (Les Editions de Minuit, 1970)

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